Les chauffeurs affiliés à Uber sont-ils indépendants ou salariés ?
L’entreprise américaine défend chèrement la première option, sur laquelle se fonde sa structure de coûts… et son modèle économique.
Elle est allée jusqu’à débloquer 100 millions de dollars pour mettre un terme à un recours collectif lancé à son encontre aux États-Unis sur cette problématique de régime d’activité.
En France, le droit du travail interdit la constitution de telles class actions. Mais dans l’ombre, les autorités mènent le combat.
L’Acoss (Agence centrale des organismes de sécurité sociale) a pris le dossier en main. Elle a lancé deux procédures : l’une devant le Tribunal des affaires de sécurité sociale (Tass) ; l’autre au pénal, auprès du procureur de la République de Paris, sur le fondement d’un « détournement de statut ».
Ces poursuites découlent d’un contentieux avec l’Urssaf d’Île-de-France.
L’organisme chargé de collecter les cotisations de sécurité sociale a requalifié tous les chauffeurs Uber en salariés et réclamé à l’entreprise les sommes correspondantes par le biais d’un redressement de « quelques millions d’euros ».
Uber n’ayant pas donné suite à cette demande, le Tass a été sollicité au même titre que le parquet de Paris, qui peut ouvrir une enquête préliminaire pour « travail dissimulé ».
Du côté d’Uber, on maintient que les chauffeurs sont des indépendants qui « choisissent d’être leur propre patron ».
Pour l’Acoss, c’est plus subtil : que ce soit de par le recrutement, la formation, le plafonnement des commissions ou les conditions associées aux courses, il existe un « lien de subordination » qui nécessite une affiliation au régime des salariés en matière de sécurité sociale.
Comme le souligne le média d’investigation « Le Lanceur », l’Acoss est sur le dossier depuis quelque temps. Elle s’est d’abord intéressée au travail dissimulé « basique » (non déclaré), avant de vérifier que le statut des chauffeurs sur les plates-formes « [correspondait] bien aux conditions réelles d’activité ».
L’établissement public s’est préparé pour une bataille au long cours : si l’affaire remonte jusqu’en Cour de cassation, elle pourrait ne pas aboutir avant cinq ou six ans. Mais son issue pourrait faire jurisprudence et remettre en cause le modèle de fonctionnement d’Uber.
Avocat au barreau de Paris, Me. Thierry Vallat rappelle que le fait d’employer une personne en qualité d’autoentrepreneur dans les conditions du salariat « constitue une pratique largement répandue ».
Celle-ci a toutefois fait l’objet d’un arrêt du 11 novembre 2014 dans lequel le Conseil d’État a clairement évoqué du « travail dissimulé » pouvant justifier la fermeture d’une entreprise.
L’Urssaf peut aussi s’appuyer sur une décision de la Cour de cassation datée du 6 mai 2015 et selon laquelle le statut d’autoentrepreneur est fictif si l’employé travaille dans le respect d’un planning quotidien ou s’il lui est assigné un objectif de chiffre d’affaires.
Le modèle même d’Uber a déjà fait l’objet de nombreuses plaintes, notamment de la part des sociétés de taxis, qui avaient officiellement interpellé Manuel Valls « pour comprendre pourquoi le Gouvernement, les services de l’Acoss-Urssaf ou fiscaux ne sanctionnent pas de façon plus radicales [sic] les travailleurs clandestins pourtant interdits [sic] depuis la loi du 11 octobre 1940 ».
Crédit photo : Ezume Images – Shutterstock.com
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