Des pouvoirs publics concurrencés par la montée en puissance d’interfaces plus efficaces à moindre coût, un droit social qui peine à saisir le régime juridique de travailleurs placés dans des situations incertaines et parfois défavorables… Autant de réalités que le Conseil d’État associe au développement des plates-formes numériques.
Le phénomène est décortiqué dans une étude (document PDF, 192 pages) publiée la semaine passée, sous l’angle de « l’ébranlement des économies et des modèles sociaux traditionnels ».
Les Sages y évoquent la substitution progressive desdites plates-formes non seulement aux intermédiaires de l’économie, mais aussi « aux figures instituées qui structurent nos sociétés », de l’entreprise à l’État.
Outre une remise en cause de l’organisation hiérarchique des échanges, le Conseil d’État perçoit un levier d’optimisation d’actifs jusqu’alors sous-utilisés, notamment grâce à l’Internet des objets, qui permet par ailleurs d’individualiser le service rendu.
Il se figure plus globalement une économie qui « invite à dépasser les dichotomies », chacun pouvant être tour à tour être le consommateur et le producteur d’un même service.
Ce schéma implique de nouvelles formes d’autonomie et de gestion du temps de travail, dans un environnement au sein duquel les robots auront, à l’avenir, une place particulière, la blockchain étant entrevue comme le possible « aboutissement du processus de désintermédiation ».
Pour « permettre la conciliation de la liberté nécessaire à la réalisation personnelle […] dans la société du numérique et la protection de tous, ainsi que des principes que nous avons en commun », le Conseil d’État émet 21 propositions.
Il recommande, en premier lieu, une régulation globale au niveau européen*, avec la mise en place d’un débat citoyen suivi de l’adoption d’un « paquet » sur l’innovation technologique et les droits fondamentaux, puis de la définition d’un socle de droits sociaux assortie d’une réflexion d’ensemble sur la notion de « professionnel » en droit de la consommation.
Dans ce même esprit, il est préconisé de renforcer la structuration et les pouvoirs du réseau européen des autorités de concurrence, tout en affirmant des principes de loyauté et de responsabilité lors de l’utilisation d’algorithmes – avec la possibilité de mettre en place des mécanismes d’arrêt d’urgence.
En matière d’adaptation du cadre, les Sages suggèrent à l’État de lisser les effets du seuil liés à la complexité des régimes juridiques, fiscaux et sociaux ; et de rendre obligatoire un dialogue entre les administrations et les entrepreneurs avant toute procédure de rectification ou de rehaussement.
Le recours aux plates-formes pourrait aussi permettre de renforcer la traçabilité des transactions économiques. Ce qui induit la mise en place de procédures simplifiées de déclaration et de paiement, mais aussi l’alignement de la fiscalité sur les opérations réalisées par les canaux traditionnels.
Le Conseil d’État encourage par ailleurs la mise en valeur de cette nouvelle économie auprès des entrepreneurs, l’augmentation des investissements publics et la création de « bacs à sable » de l’innovation technologique, économique et sociale. Non sans creuser le décloisonnement des régimes sociaux, par exemple en étendant progressivement les fonctions du compte personnel d’activité.
Et les pouvoirs publics dans tout ça ? Il leur est recommandé de former leurs agents aux techniques et aux langages des technologies, puis de dresser la cartographie de leurs activités concurrencées par les plates-formes et de s’interroger sur la pertinence de leur maintien.
Sur le volet sécurité, le Conseil d’État en appelle à l’affirmation explicite de l’existence d’un service public de la protection des réseaux dont l’ANSSI serait chef de file. En toile de fond, l’élaboration d’une « métaplateforme » qui permettrait aux administrations de collaborer au développement de services innovants.
Dans cette lignée, une nouvelle méthodologie d’élaboration de la décision publique pourrait être expérimentée, selon des méthodes dites « agiles » mettant en relation l’État, les collectivités publiques et toutes les parties intéressées.
* Voire, à terme, mondial, vu le caractère « aterritorial » des plates-formes.
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