En réclamant l’interdiction d’uberPOP, la France était dans son droit.
Ainsi peut-on résumer les conclusions que le dénommé Maciej Szpunar, avocat général à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), a rendues ce mardi 4 juillet 2017 en réponse à une demande de décision préjudicielle formée par le tribunal correctionnel de Lille.
La juridiction de première instance avait sursis à statuer dans le cadre d’une saisine par citation directe contre Uber France.
Elle s’était tournée vers la CJUE concernant l’article L. 3124-13 du Code des transports.
Issu de la loi Thévenoud du 1er octobre 2014 destinée à apaiser les tensions entre taxis et VTC, l’article en question sanctionne de deux ans d’emprisonnement et de 300 000 euros d’amende l’organisation illégale d’un système de mise en relation avec des personnes qui se livrent à du transport routier à titre onéreux dans des véhicules de moins de 10 places sans y être habilitées, que ce soit en tant qu’entreprises de transports routiers, taxis ou VTC.
Uber soutient que le texte est inapplicable étant donné que la loi Thévenoud n’a pas fait l’objet d’une démarche de notification formelle à la Commission européenne.
Cette procédure d’information préalable est inscrite à l’article 1er de la directive 98/34/CE du 22 juin 1998 sur « les biens et les services de la société de l’information » (c’est-à-dire l’économie numérique), vouée à éviter que des États adoptent des réglementations susceptibles de porter atteinte aux échanges.
Est concernée par cette obligation, tout « règle technique nouvelle, non implicite » relative à un ou plusieurs de ces « services de la société de l’information », dont Uber estime que son activité relève.
Du côté du tribunal correctionnel de Lille, on cherche à savoir si l’article incriminé entre bien dans le champ de la directive 98/34/CE… ou s’il ressort de la directive 2006/123/CE du 12 décembre 2016, relative aux services dans le marché intérieur et dont l’article 2, paragraphe 2, sous d) exclut les transports. Et dans le premier cas, s’il est bien constitutif d’une « règle technique nouvelle ».
Maciej Szpunar rappelle qu’au sens de la directive 98/34/CE, un « service de la société de l’information » est presté contre rémunération, à distance par voie électronique et à la demande individuelle d’un destinataire. Il constate par ailleurs qu’une règle n’est pas considérée comme visant spécifiquement ce type de services si elle ne les concerne que « d’une manière implicite ou incidente ».
Sur la qualification des services d’Uber, l’avocat général reprend les conclusions rendues par ses soins le 11 mai dernier dans le cadre d’un dossier ouvert en 2015 après réception d’une demande de décision préjudicielle en provenance du tribunal de commerce no 3 de Barcelone, saisi par une organisation professionnelle de chauffeurs de taxis qui dénonçait notamment l’illégalité d’uberPOP.
Il avait, dans ses conclusions, assimilé Uber à « un véritable organisateur et opérateur de services de transport urbain », considérant son offre comme un « service mixte » associant une prestation de mise en relation à l’aide d’une application et une prestation de transport.
Il avait surtout estimé que les deux prestations n’étaient pas indépendantes, la firme américaine exerçant un « contrôle prépondérant » sur la partie transport ; laquelle confère, en outre, son sens économique au service (la phase de mise en relation « n’a qu’un caractère préparatoire »), qui ne peut donc relever d’un « service de la société de l’information ».
Qu’en est-il à propos de l’article L. 3124-13 ? Maciej Szpunar souligne que la disposition incriminée ne vise qu’à interdire et réprimer l’activité d’intermédiaire dans l’exercice illégal de l’activité de transport : cette activité d’intermédiaire dans les services de transports légaux « reste complètement en dehors du champ d’application de la disposition ».
Ladite disposition n’engloberait ainsi les services de la société de l’information que de manière incidente, n’ayant pas pour objectif spécifique de les réglementer, mais d’assurer « l’effectivité de la réglementation concernant les services de transport », non couverts par la directive 98/34/CE.
L’avocat général souligne en outre que si une activité est illégale, tout complicité dans l’exercice de cette activité peut aussi être considérée comme illégale, surtout si elle est accomplie dans un but lucratif avec organisation d’un système.
Et d’évoquer le risque d’insécurité juridique qu’entraînerait l’assimilation de toute disposition nationale interdisant ou sanctionnant l’intermédiation dans des activités illégales à une « règle technique » : un grand nombre de règles internes des États membres devraient alors être notifiées à Bruxelles.
Conclusion : l’article L. 3124-13 ne concerne que de manière incidente les services de type uberPOP. La disposition que dénonce Uber n’interdit pas un service de la société de l’information de manière générale, mais uniquement dans la mesure où cette activité constitue un acte de complicité dans l’exercice d’une autre activité illégale et hors du champ d’application de la directive 98/34/CE.
En d’autres termes, aucune notification à la Commission européenne n’était requise. Le gouvernement pouvait donc invoquer le texte pour réclamer la fermeture d’uberPOP – dont Uber avait finalement lui-même stoppé l’exploitation en juillet 2015.
L’avis de Maciej Szpunar n’a que valeur de recommandation. Mais la CJUE se range souvent derrière les conclusions de ses avocats généraux.
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