Vélib’ : les atouts technos de la PME Smoove qui déborde JCDecaux
Le marché parisien des vélos en libre service va probablement échapper à JCDecaux, au profit du groupement conduit par Smoove. Pour quelles implications technos ?
Smoove vainqueur, JCDecaux KO ? Les « nombreuses informations diffusées par la presse » dont JCDecaux s’était inquiété dans un communiqué du 30 mars se confirment.
Le groupe spécialisé dans l’affichage urbain (13 000 salariés pour 3,4 milliards d’euros de chiffre d’affaires) est en passe de perdre l’appel d’offres « Vélib’2» pour le renouvellement du marché des vélos en libre service à Paris.
Le syndicat Autolib’ Vélib’ Métropole n’officialisera son choix que le 12 avril. Mais il a déjà annoncé la couleur, affirmant, le 1er avril, avoir « classé en tête » l’offre du concurrent Smoovengo.
La PME héraultaise Smoove emmène ce groupement aux côtés d’un de ses actionnaires : le groupe Mobivia. Celui-ci avait pris une participation en 2015 à travers son fonds de capital-risque Via-ID (également présent dans des start-up de la mobilité comme Drivy et Ector).
Dans la bataille pour décrocher le marché Vélib, Smoove s’est aussi associé à Moventia (société de transport espagnole) et Indigo (anciennement Vinci Park).
Mais le perdant de l’appel d’offres ne digère pas. Soulignant avoir « obtenu la meilleur note sur tous les critères de notation non financiers » (déploiement, exploitation, entretien, communication institutionnelle…), JCDecaux déplore « une décision troublante » et craint que la préférence accordée à Smoovengo ne soit qu’une question de prix… sans prise en considération de l’impact en matière d’emploi.
La proposition exclurait en l’occurrence la reprise de l’ensemble des personnels Vélib’ par le nouvel exploitant, qui s’appuierait sur « de nouvelles équipes inexpérimentées, moins nombreuses et à des conditions sociales et salariales dégradées ».
Les élus communistes sont sur la même ligne : « Si le syndicat métropolitain accorde […] le marché Vélib’ à la société Smoove, il ferait le choix du dumping social pour un service Vélib’ lowcost [sic]. Il ne peut y avoir d’attribution sans garanties de reprise à salaires et conditions de travail équivalentes ».
Perturbations à prévoir
Qu’en disent les employés de la filiale Cyclocity, chargée du développement et de l’exploitation du parc de vélos en libre service ? Sur BFMTV, le président du CE Bambo Cissokho invite Smoove à « s’engager, comme la Mairie de Paris à garder les 315 salariés ».
« Pôle emploi n’est pas un option pour nous », poursuit-il, en appelant ses collègues à perturber au maximum le service, dans la lignée du mouvement amorcé vendredi. Et de menacer : « À partir de mercredi [5 avril, ndlr], si on ne se fait pas entendre, on va bloquer le système ».
Un premier rassemblement avait eu lieu mardi dernier devant l’Hôtel de Ville. Ils étaient une centaine sur place – JCDecaux, associé à la SNCF et à la RATP sur l’offre Vélib’, fait état d’un mouvement « suivi à 82 % » – à l’heure où leur avenir était à l’ordre du jour au Conseil de Paris.
Ce même organe avait voté, en juillet dernier, une prolongation de 10 mois sur le marché d’exploitation de Vélib’, qui devait initialement arriver à terme le 28 février 2017.
Le contrat en jeu courra sur 15 ans. Le cahier des charges prévoit notamment que le parc soit constitué à 30 % de vélos électriques.
Smoove s’est aligné sur cette demande en prévoyant un système de ports USB pour la recharge d’appareils mobiles.
La particularité de son dispositif électronique réside surtout dans l’intégration, sur chaque vélo, d’un boîtier qui permet la communication avec les stations en radio Zigbee et en GPRS avec le serveur central.
Tout sur le guidon
Autonomes en énergie car rechargée par dynamo, ces « Smoove Box » sont placées dans la potence des vélos. Dotées d’un écran, d’un lecteur de cartes sans contact pour les abonnés et d’un clavier pour les utilisateurs occasionnels, elles sont toutes reliées entre elles grâce à un boîtier relais présent sur chaque station ou dans du mobilier urbain comme les automates de stationnement.
Fonctionnant pour la plupart sans câblage grâce à des panneaux solaires assortis d’un système de tags RFID pour identifier chacun des plots, les mobiliers de stationnement sont « conçus pour s’implanter […] avec le minimum de génie civil », affirme Smoove. Les éléments sont livrés sur palette et se fixent au sol par chevillage.
Faisant référence à un rapport d’audit rendu en février 2016 par l’inspection générale de la Mairie de Paris et selon lequel le critère des places disponibles pour déposer un vélo ne recueille que 56 % d’avis satisfaits (voir en page 5), la PME basée à Saint-Gély-du-Fesc affirme pouvoir doubler la capacité d’accueil des stations avec sa technologie « Overflow », développée en interne.
La ville d’Helsinki – dans laquelle Smoove est implanté depuis mai 2016 – sera la première à bénéficier de ce système breveté qui permet d’attacher les vélos les uns aux autres, en complément à l’antivol Mavic intégré dans la fourche.
L’enjeu est grand si on considère que JCDecaux revendique « plus de 40 millions de trajets par an », avec un parc de 18 000 vélos dont certaines associations suggèrent qu’ils soient vendus aux particuliers si Vélib’ venait à changer de mains.
SFR y était presque
Pour Smoove, qui gère aujourd’hui 8 800 vélos et 715 stations dans 26 villes dont une douzaine en France (Montpellier, Avignon, Valence, Saint-Étienne, Grenoble, Strasbourg, Lorient, Belfort, Chalon-sur-Saône, Clermont-Ferrand… mais pas Lyon, dossier pour lequel un pourvoi en cassation est en cours), on pourrait parler d’un bon en avant.
L’horizon s’était déjà éclairci il y a quelques semaines avec le désistement in extremis, une demi-heure avant la limite de dépôt des candidatures, de SFR dans le cadre d’un troisième groupement*.
L’opérateur a depuis lors été traîné devant le tribunal de commerce de Paris par les deux PME qui étaient ses partenaires dans le cadre de l’appel d’offres : Intermobility (qui gère déjà des vélos en libre service en Suisse) et Tracetel (systèmes de gestion de parcs de deux-roues).
JCDecaux maintient quant à lui la pression, réclamant des précisions publiques sur la question des emplois et annonçant qu’il en tirera « les conséquences juridiques qui s’imposent ».
Dès la genèse du Vélib’ : une bataille farouche
Le groupe industriel spécialisé dans la publicité urbaine s’y était déjà repris à deux fois pour remporter l’appel d’offres initial remontant à 2007 sur la mise en place de Vélib’.
A cette époque, face à sa filiale SOMUPI se dressait un « Groupement pour Paris » emmené par l’américain Clear Channel, avec France Télécom (devenu Orange), EDF et Vinci Park.
En novembre 2006, alors que Clear Channel avait la faveur des pronostics, la SOMUPI avait obtenu l’annulation de l’appel d’offres par le Tribunal administratif, pour une « erreur de formulation ».
JCDecaux avait eu le temps d’améliorer sensiblement sa offre sur le plan financier : en sus d’une redevance de 2 millions d’euros par an pour l’occupation du domaine public, le groupe avait proposé une prime de 15 millions d’euros, contre 10 millions pour Clear Channel.
*Selon L’Express, il existait même une quatrième candidature pour le deuxième appel d’offres Vélib’ : le canadien PBSC.