Parmi les évolutions des architectures processeurs déjà évoquées (voir édition du 8 février 2001), il en est une à l’originalité surprenante : les processeurs asynchrones, autrement dit, sans horloge. Oubliés les mégahertz, le fonctionnement de ces puces repose sur l’interaction entre les différents modules qui les composent, uniquement lorsque c’est nécessaire. Pour mieux comprendre, une petite explication technique s’impose.
On le sait, un processeur est constitué de millions de transistors qui, assemblés selon une organisation complexe, permettent de générer des commandes logiques (addition, comparaison, etc.). En laissant, ou non, passer l’électricité qui les alimente, les transistors créent des suites de 0 et de 1. L’horloge permet de synchroniser cette suite de nombres binaires afin d’indiquer son état au processeur (à l’instant t, quels sont les transistors en état de « 1 » ou de « 0 »). L’état des données change à chaque cycle d’horloge (800 millions de fois par seconde dans le cas d’un processeur à 800 MHz) et celles-ci évoluent d’un registre de traitement à l’autre dans une suite de combinaisons à travers des unités logiques (unité de gestion des bus, de mémoire, d’exécution…). Cette technologie a cependant l’inconvénient de faire travailler toutes les unités logiques de la puce en même temps, même celles qui ne sont pas sollicitées, générant ainsi une plus grande consommation d’énergie (et donc un plus grand dégagement de chaleur). D’autre part, une partie non négligeable du processeur est consacrée à la distribution du signal de l’horloge, laquelle consomme elle-même de l’énergie. Enfin, la loi de Moore sur laquelle repose l’évolution de la puissance des processeurs est, à terme, condamnée. Les physiciens estiment qu’à partir de 0,05 micron d’épaisseur, les transistors ne parviendront plus à conserver les électrons. On en est certes encore loin (bien qu’Intel ait annoncé une gravure en 0,07 micron pour 2005, voir édition du 9 mars 2001) mais à chaque nouvelle génération de processeurs, les fondeurs doivent investir des milliards de dollars dans de nouvelles unités de production. Des investissements que tous les fabricants ne pourront pas supporter.
Des unités de calcul au repos
D’où l’orientation vers de nouvelles architectures processeurs, dont l’asynchrone qui apparaît comme une voie prometteuse. Bien que reposant toujours sur les opérations effectuées par les transistors dans une suite logique de traitements des informations, dans un processeur sans horloge, ce sont les données qui mettent en route les unités de calcul dans un processus de communication de type « requêtes/acquittement ». Schématiquement, une unité source envoie une requête à une unité cible qui la valide afin de recevoir l’ensemble des données traitées. Les unités fonctionnent aussi vite que le permet la physique et n’ont donc pas besoin d’attendre de signal d’horloge. Ce qui permet à celles qui n’ont pas été soumises à une requête de rester en « sommeil », offrant ainsi une économie d’énergie non négligeable. Pour simplifier, un processeur à horloge fonctionne un peu comme une gare ferroviaire. Chaque train part tous les jours à la même heure (sauf les jours de grève !), qu’il y ait des passagers où non à bord. En revanche, une unité d’un processeur asynchrone est plutôt comparable à un service de taxi qui ne part que si un client le sollicite. L’absence d’horloge associée à l’indépendance des unités de calcul et le gain d’énergie (et donc la diminution du dégagement de chaleur) qui en résulte ne sont pas les seuls avantages amenés par l’architecture asynchrone. L’absence d’horloge, source de rayonnements électromagnétiques, réduit quasiment à néant les émissions parasites. Enfin, les processeurs asynchrones sont insensibles aux délais, ce qui permet aux unités de soutenir une variation de vitesse (induite, par exemple, par une baisse d’alimentation).
Deux grands domaines d’application s’ouvrent aux processeurs asynchrones : les ordinateurs (serveurs, station de travail, voire, de bureau) et les systèmes embarqués et mobiles (du téléphone à l’ordinateur de poche en passant par la prothèse auditive et les appareils sensibles aux émissions électromagnétiques). Le premier est la voie choisie par plusieurs équipes américaines. Notamment Sun qui a présenté, le 11 mars dernier à l’occasion d’une conférence, les résultats des travaux menées par l’équipe d’Ivan Sutherland. Après une décennie de recherche, celui à qui on attribue l’invention de la 3D a annoncé que la fabrication d’ordinateurs architecturés autour de ses nouvelles puces seraient bientôt possible, sans toutefois s’engager sur une date. Il estime notamment que, outre un gain de performances pour une consommation réduite, les processeurs asynchrones seraient plus faciles à fabriquer. Asynchronous Digital Design (ADD), une start-up américaine, travaille sur le Minimips, développé à l’origine par l’unité de recherche du professeur Alain Martin de l’université de Caltech à Pasadena. Gravé en 0,6 micron, le Minimips atteint le 170 millions d’instructions par seconde (Mips). Sans horloge, il n’est évidemment plus question de parler de mégahertz. Mais à titre de comparaison, quand Intel gravait en 0,6, c’était pour produire un Pentium à 90 MHz. Gravé en 0,25 ou 0,18 (la gravure actuelle), le Minimips atteindrait le milliard d’instructions par seconde (Gips). On peut estimer qu’un Pentium III à 1 GHz délivre une puissance comprise entre 2 et 3 Gips.
Des prototypes existent déjà
L’autre voie est celle choisie par l’équipe de Marc Renaudin du TIMA (Techniques of informatics and microelectronics for computer architecture) de Grenoble qui travaille sur les méthodologies et outils de conception des processeurs sans horloge. « L’état des recherches actuelles en est à peu près au même point qu’au début des processeurs à horloge », déclare Marc Renaudin, « même si nombre de prototypes fonctionnent parfaitement, les processus de production industriels n’existent pas encore. » Ce laboratoire indépendant travaille notamment sur l’ASPRO et le MICA, deux processeurs sans horloge destinées aux applications embarquées, notamment aux cartes à puces sans contact. Gravé en 0,25 micron, l’ASPRO-216 (16 bits) atteint les 140 Mips pour une consommation de 0,5 watt. D’autres acteurs comme Sharp et Philips développent également des processeurs asynchrones. Les jours des processeurs « fréquencés » seraient-ils comptés ?
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