Violation de brevets : Microsoft détaille ses accusations contre le monde libre
La firme de Redmond recense 235 cas de violation de ses brevets liés à Linux,
Open Office et autres applications open source. A tort?
Par les voix de Brad Smith, directeur juridique, et de Horacio Gutierrez, responsable de la propriété intellectuelle, Microsoft vient de réitérer ses menaces de poursuites envers les éditeurs, distributeurs, voire les utilisateurs, et intégrateurs qui utilisent un certains nombre de logiciels open source. L’éditeur de Windows justifie ces menaces par le fait que, selon lui, les applications en question violeraient plusieurs de ses brevets.
Dans une interview donnée à Fortune, Horacio Gutierrez estime qu’il « ne s’agit pas d’un cas isolé de violation accidentelle, il y a un nombre accablant de brevets violés ». Microsoft recense pas moins de 235 cas litigieux (sur les 3 780 brevets déposés par l’entreprise de Redmond). 42 violations seraient imputables au noyau Linux, 65 accompagneraient plusieurs distributions Linux (notamment à travers les interfaces graphiques proposées), 45 visent la suite bureautique Open Office et une quinzaine ciblent des applications de messagerie électronique. Les 68 restant concernent diverses applications open source non détaillées.
Ce n’est pas la première fois que Microsoft peste contre la violation de ses brevets par le monde de l’open source. Steve Ballmer, le bouillonnant PDG de la firme, a eu mainte fois l’occasion de révéler son aversion envers l’univers des logiciels libres. La dernière en date remonte à novembre 2006, dans le cadre des accords de développements communs et d’utilisation respective de la propriété intellectuelle signé entre Microsoft et Novell. Steve Ballmer n’avait pas hésité à affirmé que le partenariat avait été conclu en partie du fait que SUSE Linux Enterprise utilise la propriété intellectuelle de Microsoft.
Les brevets Microsoft invalidés
Est-ce que Microsoft passera à l’acte? Pas sûr. En poursuivant le monde du libre, il prend le risque de s’enfoncer dans des procédures judiciaires longues et onéreuses. Ce qui n’est pas un problème en soit puisque l’éditeur dispose de moyens financiers considérables pour les soutenir. En revanche, Microsoft prend le risque de voir ses propres brevets invalidés à l’issue des procédures.
D’abord parce que les logiciels libres, pour nombre d’entre eux, sont développé et distribué sous la licence GPL (General Public License) définie par Richard Stallman, fondateur de la Free Software Foundation (FSF) en 1984. La GPL, sur laquelle repose à ce jour le développement du noyau Linux, impose l’ouverture du code source et autorise sa modification et oblige la livraison des nouvelles sources en cas de redistribution (commerciale ou non).
La GPL est donc une arme juridique pour protéger les éditeurs, développeurs et utilisateurs de logiciels libres. Et la FSF sait s’en servir. Elle a plusieurs fois réussi à contraindre des éditeurs qui avaient intégré du code libre dans un logiciel propriétaire à redistribuer les sources. D’ailleurs, la version 3 de la GPL, présentée le 28 mars et qui devrait entrer en service en juillet 2007, a connu des modifications de dernière minute afin d’interdire les passerelles entre le monde propriétaire et le libre, comme l’entend l’accord Microsoft-Novell.
Microsoft prend le risque d’attaquer ses propres clients
Ensuite, si Microsoft poursuit les utilisateurs de logiciels libre, il s’expose à prouver la violation des brevets. Or, la question des brevets logiciel n’est pas tranchée, y compris aux Etats-Unis où les procès pour violation de propriété intellectuelle n’ont cessé de se multiplier ces dernières années. Aucune jurisprudence ne va, aux Etats-Unis, dans un sens ou dans l’autre. La Cour Suprême n’ayant jamais statué clairement sur la question. Et en Europe, malgré l’existence de l’Office Européen des Brevets (?B) qui se charge de les enregistrer, les brevets logiciels n’ont jamais été approuvés par Bruxelles.
Enfin, face à l’absence d’éditeurs clairement identifiés comme ayant violé les brevets de Microsoft, la firme de Redmond envisage de poursuivre les utilisateurs. Autrement dit, les clients de sociétés comme Red Hat ou Novell qui développent leurs affaires avec des services à valeur ajoutée proposés autour de la mise en place de solutions libres. Or, les clients de Novell sont « protégés » par les accords de développement et d’échange de protection de propriété intellectuels signés avec Microsoft en novembre 2006. Reste Red Hat (qui s’accapare 65 % des serveurs Linux, selon IDC) dont les clients sont souvent des grands comptes… également utilisateurs de produits Microsoft. Ce dernier prendra-t-il le risque de poursuivre ses propres clients?
Les clients des constructeurs comme HP ou IBM (Dell a récemment rejoint l’accord Novell-Microsoft), sont également dans la ligne de mire de Microsoft puisqu’ils utilisent également des solutions en environnement libre. HP, comme Red Hat, a mis en place dès 2004 une garantie de prise en charge des poursuites éventuelles de ses clients. Les grands acteurs du libre n’ont d’ailleurs pas manqué de s’organiser pour prévenir les éventuelles poursuites de Microsoft. En novembre 2005, IBM, Sony, Red Hat, Novell, Oracle, Philips et Canonical ont créé l’Open Invention Network, une société à but non lucratif qui se donne pour mission d’acheter les licences sur lesquelles s’appuient les développements des solutions Linux pour les redistribuer aux entreprises qui s’engagent en retour à ne pas appliquer leurs propres licences.
On le voit, la communauté open source dispose d’atouts pour se défendre. Ce dont Microsoft doit être bien conscient. A moins que les menaces de Microsoft ne soient qu’une vague d’intimidation à l’encontre des entreprises prêtes à franchir le pas de l’open source? Si c’est le cas, et si la stratégie fonctionne, l’affaire pourrait bien profiter à Novell, vers qui les clients se tourneront, et donc, à terme, à Microsoft. Pour l’heure, l’éditeur de Windows n’a pas engagé de procédures dans ce sens.