Quelle est la taille du marché auquel vous vous adressez ? Quand pensez-vous atteindre le seuil de rentabilité ? Quels sont vos projets sur le court terme ? Pourquoi solliciter des investisseurs particuliers pour couvrir vos besoins en fonds propres ?
Autant de questions posées aux quatre entreprises conviées ce jeudi à l’Hôtel de Ville de Paris par WiSEED.
La plate-forme toulousaine d’equity crowdfunding (financement participatif par souscription de titres) a mis les petits plats dans les grands pour fêter ses six ans d’activité.
Les deux cofondateurs Thierry Merquiol et Nicolas Sérès, la présidente Stéphanie Savel, le directeur du développement et des partenariats Souleymane Galadima, la responsable R&D Élodie Manthé…Une bonne moitié de l’équipe – qui compte aujourd’hui 18 collaborateurs – était présente au rendez-vous, devant un parterre d’investisseurs réunis dans l’auditorium de l’Hôtel de ville.
Il est 19 heures. La conférence doit débuter. On nous informe toutefois du retard de Stéphanie Savel, bloquée dans les transports en commun. Élodie Manthé prend le relais pour lancer la soirée.
Thierry Merquiol et Nicolas Sérès entrent ensuite en scène pour évoquer la genèse de WiSEED. Ils se remémorent ces longues discussions « dans un bar de Toulouse, autour d’une bière, voire d’une girafe » qui ont mené, en mars 2008, à la création de la plate-forme.
Les deux associés, issus de l’incubateur Midi-Pyrénées, décident de prendre position sur un marché encore embryonnaire, acquis à quelques acteurs comme My Major Company, un label participatif proposant aux internautes de soutenir financièrement de jeunes artistes, en contrepartie d’une rémunération sur les ventes physiques et numériques de l’album.
Thierry Merquiol, qui a soutenu la campagne du chanteur Grégoire avec son album « Toi + Moi », perçoit quelques signaux aux États-Unis autour de l’equity crowdfunding et décide d’exploiter ce mode de financement alternatif.
WiSEED est finalement mis en ligne en juin 2009.
Mais sa société évolue dans un flou juridique… jusqu’au jour où, fin 2012, l’AMF (Autorité des marchés financiers) et l’ACPR (Autorité de contrôle prudentiel et de résolution) lui demandent d’arrêter ses opérations.
Disposant de toutes les autorisations requises par l’AMF, Alternativa (« Bourse européenne des PME ») joue les intermédiaires le temps d’une mise aux normes.
Le développement peut alors s’accélérer au gré de partenariats avec d’autres acteurs du financement des entreprises. Notamment des fonds d’amorçage régionaux.
Illustration avec la société de capital-risque Emertec, représentée pour l’occasion par son président Éric Marty.
Créée en l’an 2000 pour financer des start-up dans les secteurs des nouvelles technologies, de l’énergie, de l’environnement et de la chimie verte, elle gère aujourd’hui 150 millions d’euros d’investissements.
« Au début, nous étions assez circonspects, si ce n’est inquiets à l’égard des plates-formes de crowdfunding », explique Éric Marty. Il poursuit : « Quel rôle allaient jouer ces acteurs émergents dans la chaîne de financement ? Dans quelle mesure allaient-ils entrer en conflit avec nos propres activités ? »
Les mois passant, Emertec a constaté que la concurrence se trouvait plutôt au niveau de ceux qui apportaient le capital. Or, ses investisseurs (Gaz de France, Alstom, la RATP…) présentaient – et présentent toujours à l’heure actuelle – une complémentarité intéressante avec les particuliers réunis sur WiSEED.
« Les tickets ne sont pas non plus les mêmes », précise Éric Marty. « Alors que le ticket d’entrée peut être fixé à 50 euros chez WiSEED, il s’élève au minimum à un demi-million d’euros chez nous ».
En s’imposant ainsi comme un outil supplémentaire dans la gamme de financement des entreprises innovantes, WiSEED s’ouvre de nouvelles portes et signe différents accords stratégiques, à l’image de celui noué avec Angels Santé (qui, comme son nom l’indique, est un réseau de business angels spécialisé dans le domaine de la santé).
Les acteurs historiques de la finance en France se laissent aussi séduire. En tête de liste, le Crédit Coopératif (groupe BPCE), fondé il y a plus d’un siècle et qui a progressivement élargi, au cours de son histoire, sa présence dans le monde associatif et mutualiste.
Sa première entrée dans l’univers de la finance de partage remonte aux années 80, par le biais d’une alliance avec le CCFD (Comité catholique contre la fin et pour le développement). En matière de finance solidaire, les premiers jalons sont posés en association avec Babyloan, un spécialiste du micro-crédit.
La transition se fait « naturellement » vers le crowdfunding, que Jean-Louis Bancel, président du Crédit Coopératif, considère être aujourd’hui « une partie de l’avenir du métier de banquier ». Il ajoute : « Cette biodiversité des acteurs bancaires est nécessaire [à l’heure où] le secteur en France est trop cartélisé [sic] ».
Dans la pratique, le Crédit Coopératif peut transmettre à WiSEED les projets auxquels il n’a pas la capacité de répondre. Tout en dirigeant vers la plate-forme toulousaine certains clients susceptibles de financer à leur tour des entreprises.
Pour WiSEED, le feu passe véritablement au vert en 2014 avec l’entrée en vigueur (le 1er octobre) de l’Ordonnance crowdfunding, qui fixe le cadre réglementaire pour l’exercice des plates-formes de financement participatif dans le pays.
Fruit d’une concertation lancée en 2013 avec les pouvoirs publics, le texte devra encore, d’après Thierry Merquiol, « être éclairci sur de nombreux points ».
Mais pour le cofondateur de WiSEED, l’obtention du statut du CIP (Conseiller en investissement participatif) défini dans cette nouvelle loi est déjà une victoire en soi : « On a mouillé la chemise pour faire face a des lobbys qu’on a finalement dépassés sur la ligne d’arrivée ».
Et l’obstination paie, tout du moins dans les chiffres : 21 millions d’euros levés sur la plate-forme, dont environ 13 millions sur les douze derniers mois. Ce qui classe WiSEED au quatrième rang en Europe sur l’investissement en capital, selon une récente étude du Suisse Verve Capital Partners.
L’immatriculation de WiSEED auprès de l’ORIAS (Organisme pour le registre des intermédiaires d’assurance) en tant que Conseiller en investissement participatif lui permet non seulement d’organiser des levées de fonds jusqu’à 1 million d’euros sans tomber sous le coup de la loi d’appel public à l’épargne, mais aussi de créer une relation de confiance avec les investisseurs particuliers.
Ces derniers n’entrent pas directement au capital des entreprises qu’ils soutiennent : ils sont en fait regroupés au sein d’une holding gérée directement par WiSEED, comme le rappelle Stéphanie Savel, nommée présidente à la mi-2014 après avoir longtemps exercé des fonctions dans l’univers des business angels.
Avec 48 000 membres au compteur et 58 projets financés, WiSEED réfléchit désormais à de nouveaux produits de placement, tout en se développant sur des verticales comme l’immobilier, avec une structure dédiée. « On explore aussi des pistes avec les collectivités locales sur des projets publics », confie Stéphanie Savel.
Ce jeudi, on en est resté dans le privé avec les quatre sociétés qui ont pu exposer leurs projets respectifs.
Blitzr a eu l’honneur d’ouvrir le bal. À son origine, trois musiciens et ingénieurs bordelais qui ont développé une technologie destinée à « unifier les services et les médias » dans le monde de la musique. Il en a résulté une base de données mondiale conçue pour répondre à ce que Bertrand Sebenne appelle « l’hyper-fragmentation de l’offre ».
Le cofondateur de Blitzr s’explique : « Aujourd’hui, pour des questions de droits, il est impossible d’accéder à l’intégralité du catalogue de tous les artistes sur une même plate-forme ». Il insiste également sur l’explosion du nombre de morceaux disponibles… et sur l’absence d’initiatives pour les agréger et les présenter de manière simple.
C’est précisément l’objectif de la plate-forme Blitzr, qui indexe des contenus en provenance de multiples sources parmi lesquelles YouTube et les principaux services de streaming musical. Le traitement des métadonnées a permis de créer des outils à valeur ajoutée tel un comparateur de prix.
Chaque acte d’achat déclenché depuis la plate-forme (albums sur iTunes, produits dérivés sur eBay, places de concert sur Ticketmaster…) donne lieu à un commissionnement d’un montant variable, généralement de 4 % à 8 % de la somme.
Qu’en est-il de la légalité de ce service qui agrège des contenus sans publicité ? « C’est subtil, mais en fait, nous n’hébergeons pas les contenus. Nous ne faisons que les agréger », affirme Bertrand Sebenne. Son associé Pierre Anouilh ajoute : « On utilise tout simplement, de façon totalement légale, les API mises à disposition par les différents services ».
Blitzr recherche 1 million d’euros, dont 600 000 euros en fonds propres sur WiSEED. C’est à peu près autant que Naïo Technologies, qui fixe en l’occurrence à 500 000 euros l’objectif de sa campagne de financement participatif (pour un apport total recherché de 2,5 millions d’euros).
Aymeric Barthes dirige cette entreprise qui s’est spécialisée dans les robots à destination de l’agriculture. Et plus précisément des maraîchers, pour le désherbage.
Son premier produit est commercialisé depuis janvier 2014. Il s’agit du robot Oz. On recense pour l’heure, en France, 21 exemplaires de cette machine dotée d’un outil de binage et que l’on programme pour désherber automatiquement les surfaces cultivables.
Naïo Technologies compte élargir sa cible des maraîchers en circuit court aux maraîchers de l’agro-industrie dans le courant de 2016, en lançant un deuxième robot, baptisé Anatis. « Le marché potentiel est d’environ 30 000 exploitations », assure Aymeric Barthes, qui compte atteindre le seuil de rentabilité en 2017.
L’entreprise, qui compte Terena et Bonduelle parmi ses références clients, avait déjà levé 730 000 sur WiSEED, l’année dernière. Cette nouvelle opération lui permettrait tout particulièrement de concrétiser ses projets de robotisation de la vigne.
La somme recherchée auprès des internautes est plus modeste pour Arionic et ses technologies écologiques de traitement des eaux : 250 000 euros pour accélérer le développement commercial, renforcer les équipes R&D et développer des partenariats.
« Nous comptons aussi nous rapprocher de la Marine », déclare Jocelyne Frayssines. La fondatrice d’Arionic insiste sur la capacité de son offre à « répondre aux enjeux du futur » en matière de réduction des produits chimiques, de santé de l’homme et de l’animal ou encore de préservation des ressources en eau.
La technologie proposée notamment aux hôpitaux et à l’industrie agroalimentaire se base sur le passage de l’eau à travers un champ magnétique.
Les pitchs se sont conclus avec Vectalys. Créée en 2005 par Pascale Bouillé, ex-chercheuse de l’Institut Pasteur, cette société innovante de biotechnologie basée à Toulouse n’en est plus à sa première opération de financement.
Elle dispose de plusieurs brevets déposés ou en instance de validation pour ses outils de transfert de gènes qui servent à modéliser les maladies génétiques rares afin de mieux les comprendre.
C’est le principe des « vecteurs lentiviraux », utilisables par les laboratoires dans le cadre de leurs travaux sur les cellules souches.
WiSEED vise la Bourse |
Avec 150 millions d’euros de chiffre d’affaires et 250 millions d’euros de pertes sur son dernier exercice annuel, WiSEED n’est pas encore rentable. La plate-forme ne devrait être à l’équilibre qu’en 2016. Pour autant, elle envisage une IPO dans un délai de deux à trois ans. Une démarche « nécessaire pour se développer à l’international », selon Stéphanie Savel. D’après la présidente de WiSEED, il s’agit surtout d’un mécanisme de financement « plus conforme à l’esprit du crowdfunding [que l’investissement privé] ». L’opération s’inscrirait dans la lignée de deux augmentations de capital bouclées en 2013 et 2014 auprès des épargnants de la plate-forme. |
Photo d’illustration de l’article : Nicolas Sérès (à g.) et Thierry Merquiol (à d.)
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